Jasmine Arnould
Le dilemme du tramway, le dilemme de nos vies ?
Dernière mise à jour : 21 mars 2021
Journal nº4 - 02/03/2021
Vous êtes conducteur d’un tramway, celui-ci n’a plus de freins, roule à toute vitesse et vous ne pouvez rien faire pour l’arrêter. Devant vous, sur le chemin de fer, se trouvent cinq travailleurs. Vous ne pouvez ni les avertir ni les prévenir. Ces derniers n’ont aucun moyen de se sauver et d’ainsi éviter la collision avec le tramway. De plus, aucune autre personne est présente afin de pouvoir faire quelque chose pour éviter cet accident. Ainsi, ces cinq personnes seront tuées. Néanmoins, vous disposez de la possibilité de dévier votre train et d’emprunter un autre embranchement, celui de gauche, sur lequel se trouve seulement un travailleur, auquel s’applique les même règles qu’aux autres. Donc la collision est impérative, le tuant assurément. Que faites-vous ?
Vous faites dévier le train, sauvant ainsi ces cinq personnes mais tuant la personne seule, ou bien, vous laissez le train sur la voie principale et tuez les cinq personnes en épargnant l’autre individu de cet accident ?

Le dilemme du tramway est un dilemme philosophique. Autrement dit, c’est une expérience de pensée qui consiste à résoudre un problème en s’appuyant sur l’imagination de l’homme car il n’est pas réalisable en dehors du monde imaginaire.
Mais «l’utilitarisme», «l’éthique déontologique», qu’est-ce que c’est…?
L’utilitarisme (plus précisément l’utilitarisme de l’acte) consiste à minimiser les mauvaises conséquences et ainsi maximiser les bonnes.

C’est-à-dire que les conséquences de l’action sont plus importantes que l’action en soi, ou, plus précisément on mesure le bonheur qui est créé par rapport à la souffrance provoquée. La bonne action sera donc de faire un choix qui résultera en une somme de plaisirs supérieure à la somme de malheurs.En bref : le principe est qu’on recherche le plus de bonheur pour le plus grand nombre de personnes. (ceci est l’utilitarisme qui fut développé par Jeremy Benthman)
L’éthique déontologique, elle, prime sur l’action avant tout : l’image de l’action, qu’elle soit correcte est plus importante que les conséquences elles-mêmes. C’est une théorie qui soutient que les actes doivent être jugés selon leur conformité envers nos devoirs.
Un point important à relever avant de continuer est la remarque de Judis Jarvis Thompson : le conducteur du tramway porte une certaine responsabilité envers la mort des cinq individus puisque c’est son train. Donc il est en train (petit jeu de mot) de tuer ces cinq personnes. Alors que si la personne est extérieure, elle n’a aucune part de responsabilité sur la mort de ces cinq travailleurs. Le plus important est de se souvenir que les variantes du dilemme du train placent la personne du conducteur dans un rôle extérieur, d’observateur, pour qu’il ne soit pas impliqué dans la situation de départ. Car ce dilemme ne se concentre pas sur la responsabilité du conducteur, sur son erreur à lui, le but de cette expérience de pensée étant d’évaluer notre éthique morale.
VARIANTE DE LA TRANSPLANTATION
Vous êtes un chirurgien et vous avez cinq patients ayant de très graves problèmes de santé qui impliquent le dysfonctionnement de leurs organes. Cependant il se trouve une personne en excellente santé à l’hôpital disposant des organes que nécessitent vos cinq patients pour vivre. Vous pouvez tuer cette personne en parfaite santé, sans que personne ne soit au courant et sans aucune conséquence négative (professionnelle ou judiciaire) et ainsi sauver vos patients, ou sinon ne rien faire et vos patients mourront.
VARIANTE DU GROS SUR LE VIADUC
Imaginez maintenant que vous êtes sur un pont qui se trouve juste au-dessus de la voie-ferrée. Le train n’a plus de freins et roule à toute vitesse en direction des cinq personnes. La seule chose qui pourrait l’arrêter serait un obstacle, tel qu’un homme de très grande taille, gros, qui porte un grand sac à dos, et il se trouve qu’il y en a exactement un présent sur le bord du pont. Vous pouvez le poussez afin qu’il puisse stopper le train et sauver la vie des cinq travailleurs et perdre la sienne, ou sinon ne rien faire et les cinq personnes mourront.
En suivant l’utilitarisme pour les deux variantes exposées ci dessus, la bonne action serait de tuer l’homme en parfaite santé et pousser l’homme gros du viaduc puisque les conséquences de nos actions seront meilleures. Nous aurons sur la balance, un bonheur plus lourd que le malheur, puisque nous sauvons cinq personnes en n'en tuant qu’une seule.
Cependant, dans ces cas-là, notre intuitions morale désapprouve le fait de tuer la personne pour en sauver cinq autres.Et ça a d’ailleurs été prouvé grâces à des expériences réalisées en psychologie : seulement 10% des personnes tueraient la personnes en parfaite santé dans la variante de la transplantation et pousseraient l’homme gros du viaduc.Nous percevons donc un grand contraste avec les 90% de personnes qui déclarent actionner l’aiguillage afin de dévier le train sur le deuxième embranchement pour sauver les cinq travailleurs
Pour en revenir à la philosophe américaine Judis Jarvis Thompson je vais vous exposer une autre de ses variantes pour ce dilemme :
BYSTANDER'S THREE OPTIONS
Maintenant, vous vous trouvez sur la voie ferrée, sur un troisième embranchement. C’est vous qui tirez le levier. Soit le train tue les cinq personnes, soit il tue la personne sur l’embranchement de gauche soit il vous tue, vous, sur l’embranchement de droite. Vous ne pouvez pas éviter le train, qui rentrera donc en collision avec vous en vous tuant sur le coup.

Thompson considère que si nous ne pouvons pas nous sacrifier nous-même afin de sauver ces cinq personnes, alors comment peut-on sacrifier l’autre. Autrement dit, nous ne pouvons pas infliger à une personne quelque chose que nous ne sommes pas prêts à faire à nous-mêmes. Pour Judis Jarvis Thompson, même si nous n’avons pas la possibilité de nous sacrifier dans le dilemme du tramway original, elle ne voit pas de raison éthique d’y répondre différemment qu’à sa variante «Bystander’s three options ». Sa conclusion est que nous devons laisser mourir les cinq personnes si ça implique d’en tuer une autre.
LE DILEMME DU TRAMWAY DURANT LA PANDEMIE:
Les dilemmes moraux illustrent très bien les situations réelles .Ne retrouvons-nous pas notre dilemme du tramway dans la crise du coronavirus ? Les médecins se sont retrouvés avec un choix difficile à faire : qui doit vivre, qui doit mourir ? Avec le faible nombre d’équipements médicaux, ils ont dû décider du destin de chaque malade. Leurs actions ou leur inaction décrétera le sort de ces vies. Peut-on juger un médecin qui choisit de sauver la vie d'un jeune patient plutôt que celle d'une personne âgée? Peut-être que la réponse était intuitive. Après tout, il est facile de tirer le levier et d'en tuer un pour en sauver cinq. Mais ce même raisonnement sera-t-il maintenu sachant que les cinq victimes sont des prisonniers condamnés pour meurtre ? Ou encore, dans le cas du médecin, si nous devons choisir entre une personne jeune et une âgée, et nous savons que ce vieux a un fils en hôpital psychiatrique qui a besoin de lui. Tirerions-nous le levier ? Sauverions-nous la jeune plutôt que le vieux ? Finalement pouvons-nous faire un "bon choix" ? Pouvons-nous ressortir de cette expérience en ayant réellement le sentiment d’avoir pris la "bonne" décision ?
Le dilemme du tramway nous a montré que les personnes sont plus susceptibles à tirer le levier, et ainsi tuer une seule personne au lieu de cinq. Ce qui s’accorde avec l’utilitarisme, théorie morale qui donne plus d’importances aux conséquences de l’acte que l’acte en soi : elle soutient qu’il faut maximiser le bonheur. Cependant, plusieurs variantes ont été mises en place dans le but de montrer qu’il n’est pas éthique de tuer une personnes pour en sauver d’autres. Dans les deux variantes de la « transplantation » et du « fat man », la mort d’une personne provoquée pour sauver cinq autres semble éthiquement inacceptable à nos yeux.
LA DOCTRINE DU DOUBLE EFFET:
Selon Philippa Foot, ce qui permet d’expliquer les manières différentes de penser entres ces variantes est la doctrine du double effet. C’est une théorie qui a été développée par Thomas d’Aquin. Son but est de tenir compte des circonstances dans lesquelles il est acceptable de commettre une action qui a de bonnes et de mauvaises conséquence : un double effet.
1) L’action en soi doit être moralement bonne, voire neutre.
2) Le bon effet doit être une conséquence de l’action et non pas une conséquence du mauvais effet.
Par exemple, dans le dilemme original le bon effet qui est de sauver les cinq personnes vient de l’action qui est tirer le levier, la mort de la personne sur l’embranchement de gauche étant une conséquence : l’effet négatif. Alors que dans la variante de la transplantation le bon effet (qui est sauver la vie des cinq patients) est une conséquence du mauvais effet : la mort de l’homme en parfaite santé.
3) Le mauvais effet ne doit pas être directement voulu, mais doit être prévu et toléré
4) Le bon effet doit être plus fort que le mauvais effet, ou bien les deux doivent être égaux (au sens où ce serait un mal plus grand de l’éviter sans produire le bon effet).
Il est important de relever que la doctrine du double effet ne peut avoir lieu que dans certaines situations : celles où il n’y a aucun autre moyen de réaliser le bien sans causer les effets négatifs. Car ainsi elle sert à justifier les actions qui ont des conséquences négatives mais qui peuvent être moralement acceptables.
La doctrine du double effet nous permet donc d’expliquer pourquoi les individus tiennent à penser qu’il est moralement autorisé de dévier le train sur l’embranchement de gauche où se trouve la personne car c’est une action qui a pour but de sauver les cinq personnes et la mort de cet autre est l’effet négatif de l’action. Mais que d’un autre côté il n’est pas acceptable de tuer la personne en parfaite santé ou alors pousser le gros du viaduc malgré les bonnes intentions, car le bon effet est la conséquence du mauvais effet.
Cet article a pour but de vous faire connaître le dilemme philosophique tant étudié dans le monde et surtout de vous faire voir que seulement à partir d’une situation, l’intuition morale de chacun peut être différente : ce que nous jugeons éthique et acceptable ne l’est pas du tout pour l’autre. Comme quoi, une simple situation imaginaire peut faire naître des débats dans toutes les sociétés et communautés si différentes soient-elles, et surtout, éveiller nos capacités de jugement face aux situations de dilemme dans nos quotidiens. Comme quoi, un simple tramway qui a perdu ses freins nous oblige à remettre en question notre manière de penser, et finalement on se rend compte que la vie ne se résume pas à avoir tort ou raison.
Et maintenant, je vous pose la question à vous, cher lecteur. À vos yeux, serait-il moralement admissible d'actionner ce fameux levier ?
Jasmine Anould, 2nde2
Dessins de Theo Milon, 1ère1