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"Alô Professor"

Journal n 10 - 02/11/2021 Vous connaissez sûrement Monsieur Desbois, professeur de français, de théâtre et de la spécialité Humanités au Lycée Molière. Néanmoins, il se peut qu'entre les cours de grammaire, la préparation pour le bac et les mises en scènes, vous n’avez pas eu l’occasion de connaître le Laurent Desbois qui a construit un cursus remarquable dont il peut être très fier. Alo professor: Monsieur Desbois et son parcours peu commun
Professeur agrégé hors-classe de Lettres Classiques (Latin, Grec) formé à Paris-IV Sorbonne, docteur en Littérature et Sciences de l’Art de l’Université de Paris-X, doyen du Jury de Baccalauréat de Français du Cône Sud-Américain depuis 1996, correspondant au Brésil (de 1998 à 2002) de la plus prestigieuse revue de cinéma au monde : Les Cahiers du Cinéma… la liste est bien longue! Et n’oublions pas son ouvrage de référence sur le cinéma brésilien, publié ici par la plus influente maison d’édition sud-américaine (Companhia das Letras) et célébré à l’unanimité par la critique au Brésil avec page entière dans les plus importants journaux (Folha de São Paulo, O Estado de São Paulo, O Globo): L'Odyssée du cinéma brésilien - De l’Atlantide à la Cité de Dieu. Le livre se trouve notamment au programme de lecture cette année (premier semestre 2021) des étudiants de cinéma à Paris IV-Sorbonne nouvelle. Afin de rentrer plus dans le détail, j’ai eu l’occasion de réaliser une agréable interview et de lui poser quelques questions. Quand et comment votre intérêt pour le théâtre a-t-il commencé? Au niveau personnel depuis toujours! J’ai toujours aimé lire, voir des pièces et des films. Par rapport au théâtre, c’est mon année de Terminale qui a été décisive. J’avais seulement 15 ans et je suivais une section très difficile qui s'appelait C et qui était même plus exigeante que l’ancienne filière S. Bien que je fusse un très bon élève en mathématiques, je me suis dit que ce n’était pas mon domaine car j'étais beaucoup plus heureux en cours de latin, de philosophie, de grec ou alors sur scène au théâtre en travaillant les auteurs, les improvisations et spectacles poétiques. C’est ma professeure de philo qui m’a fait découvrir le club de théâtre. Ensuite j'ai eu beaucoup de chance car j'étais élève au Lycée Condorcet, un grand lycée de Paris, qui faisait des partenariats avec le Lycée Lamartine où la professeure de français qui dirigeait l’atelier théâtre à l’époque était la fille d’Eugène Ionesco, l’auteur de La Cantatrice chauve et de Rhinocéros. J’ai eu donc l'occasion de connaître, encore bien jeune, un grand auteur qui venait même aux répétitions. A l'époque on avait aussi créé un journal, comme vous le Lièrmo, et j'étais un des journalistes. Là, j'ai découvert ma vocation. Le résultat: j'ai pris une décision et choisi les Lettres Supérieures : je ne regrette pas mon choix!”
Avez-vous rencontré des gens, au long de votre carrière, qui vous ont marqué? Beaucoup de gens m'ont marqué! Quels que soient les pays où j'ai vécu et travaillé, j'ai toujours fait des rencontres exceptionnelles et heureuses. En effet, j’ai voyagé professionnellement : le Maroc, l'Espagne (la fabuleuse Andalousie), la Pologne, le Cameroun, les îles de l´Océan Indien (La Réunion, Maurice), la Bulgarie, puis le Brésil et des missions depuis 25 ans dans presque tous les pays d´Amérique du Sud ou Centrale, du Pérou au Costa-Rica et au Salvador en passant par la Colombie ou l´Equateur. Je peux citer des noms ici au Brésil qui sont connus comme Fernanda Montenegro, mon amie très chère depuis 1998. C'est une femme très brillante avec qui j'ai animé beaucoup de conférences et débats. Pour moi, elle représente allégoriquement, quelque part, la grandeur de la femme brésilienne et de la femme en général. En plus c'est une très grande actrice et qui est exceptionnelle avec la Vis Comica c'est-à-dire le pouvoir de faire rire et la Vis Tragica, le pouvoir de faire pleurer.
Parmi les personnes qui m’ont marqué au Brésil, il y bien sûr aussi ma très grande amie la diva iconique de la Négritude brésilienne Ruth de Souza, petite-fille d´esclaves et pionnière des actrices noires du théâtre, de la télévision et du cinéma au Brésil. Un exemple de courage, de force et de détermination.” Votre parcours vous permet de poursuivre un vaste choix de carrières et finalement, du lundi au vendredi vous êtes professeur de français, théâtre et en spécialité humanités. Comment êtes-vous arrivé au Lycée Molière? Qu'aimez-vous particulièrement ici? 18 années c'est comme une relation d'amour et surtout de fidélité! Je suis arrivé ici car j'étais déjà en poste à São Paulo. Je donnais des cours au lycée Pasteur mais j'avais d'autres fonctions : j’étais conseiller pédagogique, attaché linguistique et à un moment donné attaché culturel adjoint pour la partie cinéma à São Paulo.
Puisque j'étais dans ce circuit j'ai eu une proposition de poste en 2002 : la direction du Centre Culturel de Palerme en Sicile. Une opportunité fascinante et passionnante pour ceux qui aiment les lettres classiques comme moi! Cependant je voulais rester au Brésil. Comme j'avais une passion pour Rio depuis que j'avais vu le film L’homme de Rio, avec l’acteur Jean-Paul Belmondo qui vient de décéder, je rêvais depuis mon enfance de ce Rio de Janeiro . Il se trouve qu’il y avait des postes au Lycée Molière et ma candidature a été retenue. D’ailleurs j’ai eu beaucoup de chance ici car j'ai commencé à l'époque où il y avait 17 élèves en Première puis Terminale L qui étaient extraordinaires. Je me suis retrouvé responsable de l’atelier théâtre où j'avais ces élèves bouillonnants ; l'un d’entre eux : le comédien Gregório Duvivier avec qui je suis resté très lié. Donc il fut facile de tomber amoureux du Lycée Molière et de la ville de Rio où je me suis plu dès le départ sur le plan professionnel et sur le plan personnel : finalement j´y suis resté et j´y suis depuis 18 ans. Qu’est ce qui vous a mené à continuer au Brésil malgré la proposition de partir en Italie? Qu’est ce qui vous plaît dans la Cidade Maravilhosa? J'ai toujours été un adepte de la devise du carpe diem: cueillir le jour, vivre l'instant. Et c'est ce que j'aime particulièrement dans la ville de Rio, dans cette manière de vivre où chaque jour est important. Contrairement à la France, où l´on entend souvent “je n’ai pas le temps”, ici on va souvent rencontrer quelqu’un qui trouvera un temps pour passer du temps avec toi et discuter. Et ça c'est merveilleux! C'est-à-dire qu´on privilégie l'instant à l'instant. Malgré tous les problèmes, on continue à vivre avec un grand V au jour le jour. Et j'aime beaucoup cela parce que cette philosophie du quotidien correspond profondément à ma manière de vivre.” Qu’est ce que le travail d'enseignant vous apporte de plus précieux? J'aime enseigner et rester jeune avec les adolescents. En restant en contact avec les générations qui se renouvellent, on ne peut pas vieillir! Être constamment en relation avec de nouveaux élèves, c'est très enrichissant. Puis, il y a mon goût de transmettre les acquis. Maintenant, je commence à avoir pas mal d'expérience dans beaucoup de domaines et c'est tellement épanouissant de voir d'autres générations s'approprier ces connaissances. À mon avis le futur réfléchit sur le passé et les deux sont liés de façon cyclique. Donc enseigner c’est transmettre mais c'est aussi recevoir. Je m'intéresse dans le fond à découvrir les véritables personnalités qui se cachent derrière les élèves, c’est d’ailleurs pour ça que j’aime particulièrement les élèves en difficulté ou les élèves un peu artistes. J'aime mon métier : je pense que ce n'est pas un métier facile mais c'est quand même merveilleux. On y entre par vocation. En plus, j'ai débuté précocement au Maroc à 20 ans au bord de l’océan Atlantique à Casablanca, cet océan qui me poursuit depuis ma naissance en Bretagne dans le port de Brest, jusqu'à l´Arpoador où je vis face à lui à Rio. ”
Écrire un livre sur le contexte politique et social du Brésil à travers son cinéma fut une idée très originale. Comment a été le processus de création et de recherche? Pensez-vous à écrire un nouveau livre? Ma relation avec le Brésil est cinématographique. Je suis venu au Brésil grâce au cinéma, grâce à trois films: L'Homme de Rio, Orfeu Negro et Deus e o diabo na terra do sol. Le livre est né en fait parce qu'en arrivant en 1996 j’ai accompagné ce qu'on appelle la Retomada du cinéma brésilien. En effet, tout commence lorsqu'on m'a invité à êtrecorrespondant au Brésil des Cahiers du Cinéma et ainsi, à suivre justement la reprise du cinéma brésilien. Ce que j'ai fait de Central do Brasil à Cidade de Deus. C’est une époque qui a été extraordinaire et plaisante où j'ai rencontré et suis devenu ami de cinéastes, d'acteurs, d'actrices, de producteurs, de scénaristes et de musiciens. Betty Faria et Walter Salles par exemple, qui a rédigé la préface de mon livre. Du coup un jour, alors que j'avais une thèse à terminer en université, mon directeur de recherches m'a proposé de prendre quelque chose de plus moderne comme le cinéma brésilien et voilà! Cela s´est fait un peu indépendamment. Je voulais travailler sur les notions historiques et les peuples du Brésil à travers le cinéma. C’est un pays d'une telle richesse historique et géographique! C'est un paradis culturel et humain à analyser dans toute sa complexité. Je me suis dit que toute mon expérience acquise pourrait être transmise dans un livre qui soit agréable à lire, à travers le miroir culturel, sociologique et historique qu'est le cinéma, qui reflète beaucoup d'un peuple, d'un pays et de sa culture. J'étais heureux d'aboutir et surtout que le livre soit traduit ici et choisi par la plus grande maison d'édition du pays! Et encore plus étonné quand les critiques sont sorties. Je ne pensais pas que la critique serait unanime, avec dans les grands journaux des pages entières comme dans O Estado de São Paulo ou O Globo, c'était vraiment une surprise et un honneur! Je crois que je dois être un peu franco-carioca dans le fond. Normalement il y a un troisième volume, je l’ai commencé, mais ne vais pas le terminer pour l'instant parce que je n'ai pas assez de recul par rapport aux dernières années du cinéma brésilien : je l'achèverai peut-être dans 5 ou 10 ans. Sinon j´ai commencé à travailler sur des scénarios de films, dont un pour Fernanda Montenegro, et une adaptation du roman naturaliste brésilien très audacieux O Bom Crioulo d´Adolfo Caminha. Verront-ils le jour ? Le cinéma est un monde imprévisible et capricieux parfois, comme la vie Bien que nous ayons une place limitée pour l’article, il y a encore plein d’histoires et de détails à savoir encore! N’hésitez pas à aller voir Monsieur Desbois, qui sera ravi de vous raconter ses expériences!
Maria Clara Fontes, 1ere2

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