Toute voile dehors
Journal nº3 - 02/12/2020 Depuis que la problématique du réchauffement climatique s’instaure progressivement au sein de notre société, de nombreux projets et mobilisations ont été réalisés dans le but de sensibiliser de plus en plus de personnes à ce sujet. C’est ainsi qu’est né le T2A (Tour des 2 Amériques solidaires - Scientific & Educational Expedition). C’est un projet qui va se dérouler sur 5 ans où un équipage va partir de France, traverser l’océan Atlantique et faire le tour des deux Amériques en passant par le Grand Sud et le Grand Nord à la Voile. Ils comptent rencontrer les élus locaux, les jeunes scolarisés et organiser des conférences tout au long de leur trajet. Nous avons eu l’occasion d’interviewer l’un des organisateurs de cette expédition, Philippe Bensimon, qui revient en détail sur ce projet ambitieux, original et cohérent face aux défis que notre société devra affronter sur la durée. Qu’est ce qui a motivé le projet ? Comment est-il né? C’est l’observation à vue d'œil de la fonte des glaciers présents dans les Alpes qui a déclenché ma prise de conscience vis-à-vis du réchauffement climatique. Imaginez que sur des cartes mises à jour régulièrement sont indiqués des glaciers. Alors, sur place, vous les cherchez désespérément. En fait, ils ont déjà disparu. Il y a aussi les conséquences que ce réchauffement climatique entraîne qui ont été déterminantes pour mon engagement en faveur du climat : j’ai réellement pris conscience que, par exemple, les changements climatiques impactent directement les ressources en eau douce disponibles pour l’homme et le reste du monde vivant, que des immenses migrations de populations liées au réchauffement climatique ont déjà commencé et que celles attendues d’ici la fin du siècle seront colossales. Celles-ci vont forcément engendrer des tensions politiques, sociales et économiques. C’est l’envie de faire réagir les hommes qui m’a poussé à imaginer un projet qui comprendrait à la fois des voyages, des rencontres et du dialogue avec les populations locales, mais c’est aussi l’occasion pour des scientifiques de réaliser des études toujours plus poussées pour mieux comprendre les phénomènes accompagnant le changement climatique, notamment par rapport au passage du pôle Nord et pôle Sud. Mais il faut surtout que les hommes réalisent que nous sommes à l’aube d’une catastrophe planétaire déjà largement engagée. Par rapport aux dates ? pour quand est-il prévu ? “As soon as possible !” Dès que ce sera possible, on partira. Aujourd’hui, on a deux problèmes: un problème financier (il nous manque 150 mil euros pour pouvoir prendre le départ) et surtout le problème sanitaire, on est obligés d’attendre que la situation s’améliore sur le continent Américain. Pourquoi avoir choisi le tour des deux Amériques ? Parce qu’on y retrouve les pays les plus producteurs, et donc les plus pollueurs, tels que les États-Unis et le Brésil. On a aussi une facilité d’accès aux populations, on le fait en 4 langues (un peu de français, énormément d’espagnol, du portugais et l’anglais servant de véhicule linguistique un peu partout). Le tour des deux Amériques nous conduit également près de l'Antarctique et de l'Arctique, deux grands régulateurs du climat et extrêmement en danger aujourd’hui. On y retrouve aussi les pays qui ont le plus de moyens d’actions contre ce réchauffement et contre la perte de la biodiversité marine, je pense notamment aux États-Unis. Philippe Bensimon Quels sont les enjeux de cette expédition ? Ce sont deux missions principales, une scientifique et une anthropologique. La première a pour but d’accroître les connaissances sur la biodiversité marine et ses liens avec le réchauffement climatique. Cela va se passer de deux façons : d’abord, inviter à bord des scientifiques avec leur matériel, où ils y passeront 15 jours/3 semaines pour poursuivre leurs travaux. Ensuite, c’est ce qu’on appelle des recherches en science participative. Là ce sont des personnes comme vous et moi, qui ne sont pas des scientifiques, et qui seront embarquées à bord pour faire de la recherche de données. Ces données seront ensuite envoyées à des laboratoires qui les analyseront et les traiteront. Par exemple, nous allons être amenés à faire des relevés sur la biodiversité marine à des endroits précis. Ensuite, dans 10 ou 15 ans, une autre équipe fera les mêmes relevés sur ce même espace maritime afin d’observer les potentiels impacts du réchauffement climatique au cours des années. Pour le volet anthropologique de l'expédition, nous allons au contact des habitants avec une seule demande : “Parlez-nous de votre vie et de son évolution”. Cela permettra aussi de faire des grandes bases de données qui seront à la disposition de sociologues et d’anthropologues du monde entier. Comment s'organise la vie à bord d’un voilier ? Comment recrutez-vous votre équipage ? Il faut bien avoir à l’esprit que le voilier sur lequel nous allons naviguer n’est pas un moyen de se divertir, de seulement voyager. C’est avant tout un outil de travail. Pour 5h de navigation on reste 10h à terre. Il est là pour nous transporter d’un continent à l’autre mais également pour stocker du matériel scientifique, de plongée etc.…C’est un lieu de travail comme un autre seulement il est itinérant. Ensuite le critère le plus important pour recruter des membres dans un équipage est la motivation. Ne pas savoir naviguer n’est pas rédhibitoire. Être déterminé à faire porter le message du projet est l’unique critère d’accès à l’équipage. Si vous aviez un message à nous donner, jeunes lycéens, concernant le monde de demain, quel serait-il ? Je commencerai par vous dire que votre avenir est gravement menacé. Aujourd’hui, la pollution de l’air est devenue le deuxième facteur de mortalité dans le monde. Vous ne respirez pas l’air que respiraient vos grands-parents. C’est dommage à dire mais vos parents ont vécu à crédit et c’est à votre génération de rembourser la dette. Vous n’aurez plus la possibilité de faire ce que vos parents ont fait. Par exemple, il y a des métiers qui vont disparaître : d’ici la fin du siècle, il n’existera peut-être plus de moniteur de ski dans les Alpes. Bien évidemment, il y a des métiers qui vont apparaître : tout ce qui est énergies renouvelables, urbanisme etc. Le réchauffement climatique, en 1972, on pouvait le stopper. Il suffisait de stopper la croissance. Personne n’a voulu le faire donc maintenant il est trop tard pour l’arrêter complètement. Mais on peut encore ralentir et surtout s’y adapter. Anticiper, voilà ce que je dirais à votre classe. Agathe Lebreton et Julia Marques 1ère A
